
La Tunisie vient de franchir un cap médical important avec la réalisation de sa première greffe de cornée ultrafine. Cette intervention chirurgicale de pointe, jusque-là pratiquée uniquement dans les plus grands centres ophtalmologiques à travers le monde, marque une avancée majeure pour la médecine tunisienne. Elle témoigne à la fois du savoir-faire des équipes médicales locales, de la modernisation des équipements hospitaliers, et de la volonté nationale de faire évoluer les soins spécialisés.
Une avancée technologique de taille
La greffe de cornée ultrafine, aussi appelée greffe de type DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty), est une technique chirurgicale de haute précision qui consiste à remplacer uniquement la fine couche endothéliale de la cornée. Cette couche, épaisse de seulement 10 à 15 microns, joue un rôle crucial dans la régulation de l’hydratation cornéenne. Sa défaillance entraîne une perte de transparence de la cornée, et par conséquent, une baisse significative de la vision.
Contrairement aux greffes traditionnelles qui impliquent un remplacement complet ou partiel de la cornée, la DMEK permet une récupération visuelle plus rapide, une meilleure acuité visuelle post-opératoire et une diminution significative des risques de rejet. En Tunisie, c’est au Centre National d’Ophtalmologie de Tunis qu’a été réalisée cette première intervention révolutionnaire, menée par une équipe de chirurgiens ophtalmologues tunisiens formés à l’étranger.
Une première réussie
L’opération, qui a eu lieu début avril 2025, a été effectuée sur une patiente âgée de 62 ans, atteinte de dystrophie de Fuchs, une pathologie héréditaire de la cornée entraînant une perte progressive de cellules endothéliales. Après plusieurs mois de suivi médical et de traitement conservateur sans amélioration, la greffe a été envisagée comme l’unique option thérapeutique.
Grâce à la technique DMEK, seule la membrane endothéliale défectueuse a été remplacée par un greffon ultrafin prélevé sur un donneur compatible. L’intervention a duré un peu moins d’une heure et a été saluée comme un succès. Après seulement une semaine, la patiente présentait déjà une nette amélioration de sa vision, sans signes de rejet ni complications majeures.
Un savoir-faire tunisien en plein essor
Le succès de cette greffe témoigne du haut niveau de compétence des professionnels de santé en Tunisie. Le chef du service de greffe cornéenne du Centre d’Ophtalmologie a souligné lors d’une conférence de presse que cette prouesse a été rendue possible grâce à une formation continue, un travail d’équipe rigoureux, et le soutien du ministère de la Santé.
Ce dernier a d’ailleurs salué cette avancée comme un tournant stratégique dans l’évolution du système de santé tunisien, en insistant sur l’importance de soutenir la recherche médicale, la formation spécialisée, et l’acquisition d’équipements de pointe. La réussite de cette première greffe ouvre la voie à la démocratisation de cette technique dans d’autres centres hospitaliers du pays, notamment à Sfax, Sousse et Monastir.
Une réponse aux besoins croissants
Les pathologies de la cornée sont en constante augmentation en Tunisie, en particulier chez les personnes âgées. On estime qu’environ 4 000 Tunisiens sont en attente d’une greffe cornéenne, dont une part significative pourrait bénéficier de la technique DMEK. En effet, cette dernière est particulièrement indiquée dans les cas de dystrophie endothéliale ou de kératopathies bulleuses, des affections fréquentes et invalidantes.
Jusqu’à présent, la majorité des patients devant subir ce type d’intervention étaient contraints de se rendre à l’étranger, en France ou en Allemagne, pour bénéficier de cette technologie. Désormais, avec cette première greffe réussie sur le sol tunisien, une nouvelle ère s’ouvre, offrant aux patients un accès plus rapide, plus économique et plus humain à des soins de pointe.
Des enjeux éthiques et logistiques
Si cette avancée est à saluer, elle pose néanmoins plusieurs défis à relever. Le premier est celui de la disponibilité des greffons. En Tunisie, comme dans de nombreux pays, le don d’organes reste un sujet délicat, souvent freiné par des considérations culturelles et religieuses. La réussite de cette greffe pourrait servir de catalyseur pour sensibiliser davantage la population au don de tissus, en particulier cornéens.
Par ailleurs, le coût des équipements nécessaires pour ce type d’intervention reste élevé. Il s’agira donc, dans les années à venir, d’intégrer ces technologies dans les budgets hospitaliers, d’encourager les partenariats publics-privés, et d’explorer les pistes de financement international.
Vers une Tunisie médicale d’excellence
Cette première greffe de cornée ultrafine s’inscrit dans une dynamique plus large de transformation du secteur de la santé tunisien. Depuis quelques années, plusieurs hôpitaux et cliniques privées ont fait le choix de se doter d’équipements de dernière génération et d’attirer des talents médicaux, souvent formés en Europe ou au Canada. La Tunisie ambitionne de devenir une destination de choix pour le tourisme médical, et cette greffe en est la parfaite illustration.
D’autres initiatives dans le domaine de la chirurgie robotique, des transplantations rénales, et de la cancérologie sont en cours, illustrant une volonté politique de positionner la Tunisie comme un acteur régional de référence en matière de soins spécialisés.